Vous êtes le Président
Directeur Général de l'agence
gouvernementale qui gère les sites
d'Angkor Wat. Pouvez-vous nous expliquer
quels sont les pouvoirs et les attributions
de l'Autorité Apsara ?
Notre institution, appelée Autorité
APSARA, a été crée
en 1995 après l'inscription des temples
d'Angkor Wat sur la liste du patrimoine
mondial. Notre autorité a pour objectif,
comme son nomme l'indique ; l'Autorité
pour la Protection du Site et l'Aménagement
de la Région d'Angkor (APSARA). Après
sa création, l'autorité a
manqué de moyens financiers pour
assurer son fonctionnement et sa mission.
Elle a donc formé un petit nombre
de personnes pour remplir les taches essentielles,
inhérentes à la protection
des sites d'Angkor. À cette époque,
Angkor avait été déclaré
site en péril par l'UNESCO. Car comme
vous le savez, le Cambodge a souffert une
longue période de guerre qui a entraîné
le pillage et la destruction de notre patrimoine
national.
Notre première mission a donc été
de réduire le pillage et d'assurer
les travaux d'urgence afin de protéger
les monuments les plus dégradés
par le temps et la nature. Vers juin 1999,
le Gouvernement Royal a délégué
les droits de billetterie à l'Autorité
Apsara (auparavant, cette billetterie était
gérée par le Ministère
du Tourisme), ce qui a permis à l'Autorité
APSARA de disposer de fonds suffisants pour
assurer son fonctionnement, recruter et
former son personnel, et commencer à
réaliser sa principale mission de
protection et conservation du patrimoine
national. Les autres missions de l'Autorité
Apsara étant le développement
du Tourisme dans la région d'Angkor
et le développement harmonieux de
la ville de Siem Reap.
Nous avons donc formé nos jeunes
afin de protéger et conserver notre
patrimoine. Auparavant c'était des
spécialistes étrangers qui
étaient en charge des travaux de
restauration et conservation des monuments
; notamment l'École française
d'Extrême Orient qui a opéré
à Angkor depuis 1907. Avec l'aide
de l'UNESCO et d'autres organisations internationales
nous avons ouvert des cours annuels de formation.
Jusqu'à présent nous avons
ouvert 4 cours. Chaque cours forme entre
25 à 30 personnes qui viennent de
sortir de l'université. Nous recrutons
des architectes, des archéologues,
des ingénieurs et des spécialistes
du tourisme.
Pouvez-vous nous présenter les
chiffres clés de l'Apsara Autorité
?
En ce qui concerne notre personnel ; nous
avons recruté plus d'une centaine
de jeunes universitaires ainsi que, pour
assurer le gardiennage, plus de 600 gardiens.
Nous disposons également d'environ
400 ouvriers qui sont en charge des travaux
de nettoyage dans les parcs d'Angkor. Au
niveau de la direction, il y un PDG et 5
directeurs généraux adjoints
; le premier est en charge du département
des Monuments et de l'Archéologie,
le second de l'Urbanisme, le troisième
du Tourisme, le quatrième du Développement
Economique et Social et le cinquième
de l'Administration. L'ensemble de notre
force de travail s'élève à
1000 personnes. Pour vous donner une idée
de notre évolution, à la formation
de l'Autorité Apsara nous étions
10 personnes. Mai 1999, moment où
nous avons commencé à gérer
la billetterie marque un virage très
clair dans l'évolution de notre institution.
En terme de chiffres l'évolution
est claire également ; les recettes
de l'année 1999 était d'environ
2 millions USD, pendant l'année 2002
nous avons atteint les 9 millions USD.
En ce qui concerne vos projets de développement
nous avons eu vent d'une zone d'environ
50 hectares, au pied des temples, qui serait
réservée au développement
du secteur hôtelier. Pouvez nous donner
de plus amples détails concernant
ce projet ?
Nous sommes responsables, bien entendu,
de la préservation et du développement
des temples d'Angkor, mais également
du développement du tourisme dans
la région, comme je vous en ais déjà
fait part. En effet, nous projetons de créer
une zone touristique, qui se trouve 500
mètres à l'est de la rivière
de Siem Reap et à la limite du parc
d'Angkor, au sud de la Zone protégée.
Cette zone de développement compte
1100 hectares.
Nous avons élaboré une esquisse
du plan d'aménagement de cette zone
dont la première étape est
de développer la zone hôtelière.
Dans ce cadre, nous avons d'ores et déjà
signé un accord avec le groupe Meta
Mékong pour l'aménagement
d'une zone de 8 hectares. Cet accord à
été établi sous forme
de concession pour une durée de 70
ans. Il nous reste encore une zone de plus
de 30 hectares réservée à
la concession des hôtels.
Dans le cadre des préparatifs nous
venons de terminer les travaux de construction
des routes permettant un meilleur accès
à la zone protégée
d'Angkor. La route qui part de la N6 vers
le nord et qui rejoint la route du petit
circuit de la Zone Protégée
du parc d'Angkor et la route Est-Ouest qui
traverse toute la zone. Ces routes ont été
financées par la France, par l'intermédiaire
de l'Agence française de développement,
l'APSARA étant en charge de l'expropriation
du terrain dans le cadre de la réalisation
de ces routes, qui favorisent non seulement
l'accès au site d'Angkor mais également
à la zone touristique. Nous sommes
actuellement en train d'aménager
toutes les infrastructures afin de servir
cette zone.
Parallèlement nous allons développer
la zone adjacente où nous projetons
de construire les nouveaux bureaux de l'APSARA,
95% de notre personnel étant basé
à Siem Reap. Cette zone est destinée
intégralement aux touristes et nous
prévoyons d'y installer des centres
à caractère culturel, des
centres d'information et de réunion,
des terrains de sports dont un terrain de
golf, etc.
Mis à part cet important projet
dans le cadre du développement hôtelier
de la Zone de Siem Reap, Quels sont les
autres projets développés
par votre autorité ?
Nous avons un autre important projet qui
est celui de construire un canal reliant
le Tonle Sap au port de Phnum Kraom. Actuellement
les bateaux arrivent de Phnom Penh à
3 ou 5 km du Phnum Kraom, le niveau de l'eau
étant trop bas pour les-y accueillir.
Nous sommes donc en période d'étude
pour la construction d'un canal permettant
de relier les eaux profondes au Phnum Kraom,
de manière à permettre aux
bateaux d'accéder au port en toute
saison. Nous sommes à la recherche
de financements pour ce projet qui est estimé
de 5 à 7 millions de Dollars. Pour
les modalités nous partons sur une
base de concession avec une prise en charge
du management, mais ceci reste à
négocier avec les investisseurs intéressés.
Nous sommes également en train de
réaliser les études techniques
pour la construction de deux voies de contournement
de la région d'Angkor. En effet,
actuellement la population, afin de se rendre
de la zone de Siem Reap à Banteay
Srey, se voit dans l'obligation de traverser
le parc d'Angkor ; la circulation y est
donc très dense considérant
qu'il y a également tous les touristes.
Ces deux voies de contournement permettent
donc de gérer le problème.
Une de ces voies contourne la zone d'Angkor
vers l'ouest et la seconde vers l'est, elles
sont respectivement de 10 et 20 km.
Vous nous avez déjà fait
part d'une importante priorité de
l'autorité ; la maintenance et le
développement du site. Dans ce cadre,
vous avez mentionné la formation
de votre personnel comme l'une de vos actions
initiales. Quelles sont les autres mesures
prises par l'Autorité APSARA afin
d'assurer sa mission ?
Nous travaillons en étroite collaboration
avec l'UNECO. Depuis l'inscription des sites
d'Angkor au patrimoine Mondial il a été
crée un organisme, le Comite International
de Coordination (CIC), pour la sauvegarde
du site d'Angkor. Le CIC se réunit
deux fois par an, et regroupe toutes les
organisations internationales ou pays intéressés
par le site d'Angkor afin d'échanger
nos points de vues sur les travaux et trouver
les meilleurs moyens de restaurer les monuments.
Nous travaillons en toute transparence,
les travaux de restauration et les résultats
des études de recherche étant
disponibles à notre centre de documentation
pour toute personne intéressée.
L'UNESCO demande également, chaque
année, à un service d'expert
de venir étudier et contrôler
les travaux de conservation d'Angkor afin
de pouvoir faire des recommandations. Chaque
chantier se doit de produire un rapport
sur l'avancement des travaux et prendre
en compte les recommandations des experts
pour leur développement. C'est ainsi,
à travers la coopération internationale
et la transparence, que nous entendons protéger
le mieux notre patrimoine.
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Les principaux chantiers de restauration
actuels sont les suivants; le monument de
Baphuon géré par l'école
française d'Extrême Orient.
Viennent ensuite le chantier des Japonais,
à travers le Groupe gouvernemental
japonais JSA, qui prend en charge le temple
de Bayon ainsi que la bibliothèque
nord du temple D'Angkor Wat. Sophia University,
un groupe japonais également, prend
en charge la restauration de la chaussé
d'Angkor Wat. Les Chinois sont également
présents au temple Prasat Chau Say
Tevoda. Il y a également les Allemands
qui travaillent sur la conservation des
Apsaras à Angkor Wat. Les Italiens
sont également présents sur
deux chantiers à Angkor Wat, dirigés
par l'un de leur expert, avec financement
joint entre l'UNESCO et l'APSARA, et sur
le temple de Pre Rup, sur financement de
leur gouvernement.
Apsara prend également en charge,
selon ses possibilités, un certain
nombre de chantiers, tel Ankor Wat, le temple
de Preah Ko, et celui de Banteay Srei sur
lequel nous travaillons en collaboration
avec les Suisses. A travers le Monument
Fund, Il y a également des chantiers
sur les temples de Ta Som et de Preah Khan.
Sur tous les autres monuments à risque,
c'est APSARA qui intervient directement,
notamment hors du secteur de Siem Reap.
En effet, nous n'opérons pas uniquement
sur le site d'Angkor mais nous allons au-delà,
avec par exemple le temple de Beng Mealea
à plus de 50 km du site sur lequel
nous travaillons. Nous avons la responsabilité
de l'ensemble de la province de Siem Reap.
Vous avez un rôle bipolaire, qui
se partage comme nous l'avons vu entre la
conservation et le développement
du site d'Angkor et la promotion et le développement
du tourisme. Comment gérez-vous l'équilibre
entre protection et développement
?
Le gouvernement Royal du Cambodge a établi
le secteur touristique comme la locomotive
du développement du pays, spécialement
dans la zone d'Angkor. Nous devons donc
coordonner nos actions entre la protection
du site et le développement du tourisme
de manière à ce que ces deux
missions aillent de pair. Nous devons renforcer
nos actions de protection en même
temps que nous développons le tourisme.
Une solution adoptée a été
de créer des parvis aux alentours
des temples. Ces parvis sont des espaces
réservés aux touristes ; des
zones piétonnes, des espaces verts,
des toilettes, des parkings, etc.
.
L'esprit est de construire une vingtaine
de parvis aux alentours des principaux temples
afin que les touristes puissent profiter
d'une guidance et ainsi une meilleure vue
des temples et réduire, par la même,
l'impact néfaste du tourisme sur
le parc.
Si vous prenez l'exemple du Temple de Banteay
Srei, qui est un temple qui attire beaucoup
de touristes, l'espace disponible près
de ce temple est très réduit,
de plus la route est très proche.
Afin de limiter l'impact du tourisme nous
sommes actuellement en train d'étudier
une voie de contournement, qui permettrait
uniquement un accès piéton
et laisserait plus de place disponible aux
alentours du temple afin de pouvoir l'aménager
pour les touristes. Dans cette optique,
c'est une politique bénéfique
à tous que nous développons.
Dans ce cadre, il a été
organisé l'année passée
un important évènement sur
le site d'Angkor Wat ; la tenue d'un opéra,
avec la participation du ténor José
Carreras et de l'école royale de
danse Apsara. Quelle est votre politique
concernant ce type d'évènement
sur le site des temples ?
Notre principe est de ne pas banaliser
les monuments. Nous organisons également
des activités culturelles et artistiques
deux ou trois fois par ans. Les monuments
majeurs ne sont utilisés que pour
les manifestations à l'échelle
nationale. A chaque évènement
nous prenons d'importantes mesures préventives,
cependant il y a toujours un certain nombre
d'impacts que nous ne pouvons pas gérer
à 100%. Cependant afin de concilier
notre mission de protection avec celle de
développement nous devons permettre
ce type d'activité artistique.
Nous sommes actuellement en train d'étudier
un projet pour l'organisation, sur le temple
d'Angkor Wat en décembre prochain,
d'une représentation du violoncelliste
Mstislav Rostropovitch. Conscients que la
renommée de cet artiste est inestimable,
nous sommes en train de réfléchir
comment organiser une telle manifestation.
Nous nous intéressons également
à votre partenariat avec la société
Nationale Sokha Hotel pour la gestion de
la billetterie d'Angkor, pouvez-vous-nous
en dire plus ?Etes vous ouvert à
d'autres partenaires ? Dans quels domaines
?
Le contrat avec Sokha Hotel a déjà
été modifié deux fois
et la dernière version de celui-ci
prendra fin en 2005. Ce contrat est un peu
spécial ; ayant été
signé en 1999, nous n'avions pas
l'information suffisante afin de prévoir
l'évolution du secteur touristique.
Lorsque le contrat à été
signé la billetterie était
gérée par le ministère
du tourisme et les chiffres annoncés
ne dépassaient pas les 800.000 USD.
Il nous était donc difficile de faire
des prévisions, au vu des importants
changements dès lors. En effet, le
tourisme a connu un essor important dû
à la fin de la guerre et également
à certaines initiatives gouvernementales
tel que la politique du ciel ouvert. C'est
dans ce contexte que nous avons re-négocié
plusieurs fois ce contrat. A travers ces
diverses modifications, l'intérêt
de l'APSARA a été amélioré
notamment par la création d'un fonds
; le fonds de conservation et développement
d'Angkor, qui a permis de réhabiliter
cette année un certain nombre de
routes dans le parc. Lorsque ce contrat
prendra fin, nous étudierons de nouveau
ses modalités afin de favoriser notre
Autorité. Nous sommes, en principe,
ouvert à d'autres partenariats ;
notre politique étant de transparence
et de recours aux appels d'offre internationaux.
Pour la concession des infrastructures
ou la concession hôtelière
nous devons faire appel à l'investissement
étranger, l'autorité APSARA
n'ayant pas la capacité et les moyens
nécessaires pour assurer tous ces
investissements. Notre ambition est de relier
le site d'Angkor à d'autres sites
plus éloignés, sous la responsabilité
du ministère de la culture notre
autorité ne gérant que la
province de Siem Reap.
Nos lecteurs sont aussi intéressés
par le profil de l'homme derrière
l'organisation, pouvez partager avec nous
votre expérience professionnelle
ainsi que votre plus grande satisfaction
à la tête de l'Autorité
Apsara ?
De 1965 à 1975 j'étais professeur
d'histoire. Après la période
des Khmers rouges, j'ai été
intégré au Ministère
de la Culture. J'ai rejoins L'autorité
Apsara en tant que directeur de l'administration
au début de l'année 1999.
J'ai ensuite évolué au sein
de cette organisation jusqu'à en
prendre la tête. En ce qui concerne
ma plus grande satisfaction ; il faut que
je vous avoue que de nombreux progrès
ont été réalisés.
Ces progrès sont visibles dans l'organisation
de notre institution, particulièrement
au niveau de nos relations avec d'autres
organismes. De plus, jusqu'à présent
nous avons fait face à l'arrivée
massive des touristes sans causer de dommages
aux monuments ; notre tâche délicate
de prendre soin de ces monuments, qui datent,
a été remplie.
Il me reste cependant certaines préoccupations
en ce qui concerne notre mission principale
car nous sommes souvent confrontés
à des problèmes délicats.
En effet depuis l'ouverture du site, les
familles locales vivant sur le site ont
fortement augmenté en nombre. Ces
constructions sont en théorie illégales,
cependant on peut comprendre qu'il s'agisse
d'une nécessité pour ces familles
qui s'accroissent en nombre et ont donc
besoin de plus de logements. Ce sont des
sujets délicats car si nous ne réussissons
pas à bien gérer ces évolutions,
elles auront un impact direct sur le paysage
ou sur l'environnement du site.
Vous gérer la principale richesse
du secteur touristique Cambodgien, dans
ce cadre quel serait votre message final
à l'attention des investisseurs qui
regardent ces projets d'un oeil intéressés
?
Nous avons un nombre important de projets
pour lesquels nous souhaitons l'intervention
d'investisseurs. Cependant l'expérience
nous a appris qu'il faut l'intervention
d'investisseurs qui aient l'amour du patrimoine
afin de travailler sur le site d'Angkor.
Nous avons déjà reçu
un certain nombre d'investisseurs mais qui
n'avaient pas la sensibilité et la
conception du patrimoine. Ils nous demandent,
par exemple, la création d'un escalier
mécanique pour accéder aux
temples ; il faut comprendre que nous ne
pouvons accepter ce type de projet qui ne
respecte pas l'intégrité de
notre patrimoine. Si vous avez déjà
visité Angkor, vous savez qu'il y
a actuellement un projet qui fonctionne
; il s'agit du Ballon qui permet aux touristes
d'observer le site sous un tout autre angle.
Ce projet est un projet pilote qui nous
permettra de développer d'autres
activités pouvant attirer les touristes
mais ne nuisant pas à l'intégrité
de nos monuments.
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